Le Groupe des Neuf
« La présence d’un être inscrite dans la pierre ou le bronze apprend à chacun quelque chose de soi-même, des possibilités qu’il aurait de durer » (Juliette DARLE, « 22 sculpteurs témoignent de l’homme », dans XXe Salon de l’Union des Arts Plastiques de Saint-Denis (cat.exp., Saint-Denis, Salle de la légion d’honneur, 5 – 27 novembre 1966), Saint-Denis, 1966,)
Le 11 novembre 1963, neuf sculpteurs – Jean Carton (1912-1988), Paul Cornet (1892-1977), Raymond Corbin (1907-2002), Marcel Damboise (1903-1992), Léon Indenbaum (1890-1981), Léopold Kretz (1907-1990), Gunnar Nilsson (1904-1995), Jean Osouf (1898-1996) et Raymond Martin (1910-1992) – se réunissent sous la statue du Balzac d’Auguste Rodin, Boulevard Raspail à Paris. Ils se présentent à la presse comme le Groupe des Neuf. Le groupe s’était formé la même année grâce à l’initiative du critique d’art André Barrère et de la poètesse Juliette Darle (voir encadré) dans le but de défendre la sculpture figurative indépendante transmise par leurs maîtres, les artistes de la bande à Schnegg. Comme le souligne Juliette Darle à propos du groupe: « C’est dans le courant de la grande tradition sculpturale, qui remonte dans notre pays à la nuit des temps, qu’ils innovent ». (Ibid., « Sous le signe de Rodin. Naissance du “Groupe des Neuf”», Arts, 1963)
Les sculpteurs du Groupe des Neuf sont les élèves de ceux qui avaient auparavant constitué la Bande à Schnegg : Charles Despiau (1874-1946), François Pompon (1855-1933), Jane Poupelet (1878-1951), Lucien (1864-1909) et Gaston (1866-1953) Schnegg, Robert Wlérick (1882-1944) … Ceux-ci ont travaillé dans ou autour de l’atelier d’Auguste Rodin et ont assimilé ses principes fondamentaux : le contact avec la nature et l’agencement rigoureux des plans. Ils se détachent néanmoins de l’art exalté du maître par leur volonté d’atteindre un idéal de calme, de sérénité et de dépouillement. La critique baptise ces sculpteurs réunis autour de Rodin : la bande à Schnegg, du nom de son « meneur » Lucien Schnegg. Cette appellation souligne leur position à contre-courant, le terme de bande étant habituellement réservé aux anarchistes. La figure humaine est la voie privilégiée empruntée par ces sculpteurs dont la pratique donnera naissance au courant de la sculpture indépendante. Cet intérêt pour l’humain devient un acte de résistance sans cesse renouvelé face aux normes imposées par l’Académie ou encore face aux pressions d’une modernité plus officielle.
- Juliette Darle (1921-2013) est une importante poétesse du XXe siècle, proche de Blaise Cendrars, Paul Éluard ou Louis Aragon qui la soutient en l’introduisant auprès des éditeurs. Arrivée à Paris depuis son Sancerrois d’origine, elle rencontre Pablo Picasso, Alberto Giacometti ; publie ses entretiens avec Fernand Léger. Elle connait le succès dès 1957 avec son recueil Léonard et la machine volante. Précurseur de la poésie murale, dont elle a eu l’intuition, Juliette Darle avec son mari, l’écrivain André Darle (fondateur du prix Tristan-Tzara), va sillonner la France en compagnie de poètes. Dits ou chantés, ses poèmes apparurent dans divers spectacles produits à Paris, à l’Espace Pierre Cardin, aux Galerie nationales du Grand Palais ou au musée de l’Homme. Elle est marquée par le passage à Paris de Bertolt Brecht. Elle fréquente les cabarets et parcourt la Provence où elle récite ses poèmes avec Alain Buci à la guitare, dans un décor projeté du peintre Ladislas Kijno, avec des images d’André Villers. Elle dirige le magazine Le Temps de poètes. Saltimbanque des temps modernes, elle rêve d’un dialogue des arts et défend la sculpture indépendante. (source principale : page wikipédia)
Ainsi, les membres du Groupe des Neuf constituent-ils la seconde génération de sculpture indépendante, défendant les valeurs transmises et poursuivant les efforts entrepris par leurs maîtres.
La première exposition du groupe est inaugurée le 29 janvier 1964 à la Galerie Vendôme à Paris (fig.1). Leurs œuvres côtoient celles de leurs « invités », de jeunes sculpteurs sélectionnés pour concourir au prix Émile Godard et qui sont considérés comme les dignes continuateurs de la sculpture figurative : Charles Auffret (1929-2001), René Babin (1919-1997), Gudmar Olovson (1936-2017) ou Françoise Salmon (1917-2014), parmi d’autres… Le lauréat du prix est Charles Auffret pour sa Femme à la toilette (fig.2). Cette reconnaissance lui permet de lancer sa carrière artistique – citons par exemple La Méditation (1965), Les Amoureux d’Ouessant (1980), L’Étreinte (1990) ou encore Le grand Saint-Joseph(1990) – et d’entrer à l’École des Beaux-Arts de Reims en tant qu’enseignant.
Malgré cette première exposition, le Groupe des Neuf reste largement méconnu par le grand public. Pierre Cabanne qui s’entretient avec ses membres en février 1964 tente de trouver une explication (Pierre CABANNE, « Les Neuf », Le Journal des Arts, 11 février 1964.) : « Est-ce parce que vous êtes classiques ? », ce à quoi Jean Carton répondit « Non parce que nous ne sommes pas soutenus », et Marcel Damboise de surenchérir « Peut-être parce que nous ne sommes pas classiques… » et Paul Cornet, ironiquement « Moi je suis connu, je suis Prix National des Arts ». L’ignorance du public s’adosse en effet à l’inaction de l’État, davantage enclin à soutenir l’art officiel, autrement dit l’art abstrait. Interrogés sur le nombre de commandes passées par l’État, Raymond Martin précise « L’État me charge de l’enseignement de la jeunesse ; sous cette forme, il m’aide et me permet une certaine tranquillité d’esprit qui m’aide énormément à faire l’œuvre que j’ai l’ambition de faire. Du point de vue des commandes, j’ai eu quelques monuments, mais on les compte sur les doigts ». Contrairement aux sculpteurs Jean Carton et Jean Osouf, Marcel Damboise reçut quelques commandes, ainsi que Paul Cornet au titre du 1% artistique. Aucun découragement pour ces artistes néanmoins qui voient cela comme un stimulant, eux qui s’inscrivent « dans la tradition de l’art vivant qui a toujours été à contre-courant de l’opinion et de l’État ».
En 1966, les artistes du Groupe des Neuf se retrouvent à Saint-Denis pour une seconde exposition intitulée Vingt-deux Sculpteurs témoignent de l’Homme. À propos de cette exposition, Juliette Darle souligne la qualité de l’ensemble et relève « la vitalité de cet esprit nouveau, qui [lui] semble lié à l’avenir humain » (Juliette DARLE, « 22 sculpteurs témoignent de l’homme », op. cit.). Par la suite, en 1967, se tient le Premier Festival de sculpture contemporaine à Saint-Ouen, réunissant les œuvres du Groupe des Neuf et celles d’Antoine Bourdelle, d’Aristide Maillol, de Germaine Richier.
Après cette date, les neuf artistes poursuivirent leur carrière artistique de manière indépendante, enrichie par la confrontation des uns avec les autres, avec cette vision commune que « rien ne répond comme la sculpture à ce poignant besoin que l’homme éprouve de survivre, de perpétuer son passage fugitif sur la terre». (Juliette DARLE, Communiqué de presse « Ier Festival de Sculpture au château de Saint-Ouen », 1966, Archives Galerie Malaquais.)
BIBLOGRAPHY
Exhibitions
- 1964 Le Groupe des Neuf et leurs amis, 29 janvier – 15 février 1964, Galerie Vendôme, Paris.
- 1966 22 Sculpteurs témoignent de l’Homme, 5 - 27 novembre 1966, XXe Salon de l’Union des Arts Plastiques de Saint-Denis, Salle de la légion d’honneur, Saint-Denis.
- 1966 Premier Festival de Sculpture contemporaine, 10 décembre 1966 – 29 janvier 1967, Château de Saint-Ouen.
- 1967 décembre 1967, Foyer du Théâtre Montparnasse, Paris.
- 1969 80e Salon des Indépendants, 28 mars – 20 avril 1969, Grand-Palais des Champs-Élysées, Paris.
Press releases
- « Naissance du Groupe des Neuf », 1963, Archives Galerie Malaquais.
- « Ier Festival de Sculpture au château de Saint-Ouen », 1966, Archives Galerie Malaquais.
Articles
- 1963 DARLE, Juliette, « Sous le signe de Rodin. Naissance du “Groupe des Neuf”», Arts, 1963.
- 1964 CHARMET, Raymond, « L’offensive de la sculpture figurative », Arts, 5 février 1964.
- 1964 ROGER-MARX, Claude, « Le serment des neuf », Le Figaro littéraire, 6-12 février 1964.
- 1964 CABANNE, Pierre, « Les Neuf », Le Journal des Arts, 11 février 1964.
- 1964 MARCHAND, Sabine, « Le Groupe des “Neuf” », Figaro, 13 février 1964
- 1964 PLUCHART, François, « Neuf sculpteurs », Combat, 17 février 1964.
- 1967 HILAIRE, Georges, « Les clés de la sculpture », Exposition au Théâtre Montparnasse, 1967.
- 1969 COGNIAT, Raymond, « L’exemple des “Neuf” », Le Figaro, 17 avril 1969.
- 1969 DARLE, Juliette, « Présence de la sculpture au 80e Salon des Indépendants », 14 avril 1969.
Exhibition Catalogues
- 1966 DARLE, Juliette, « 22 sculpteurs témoignent de l’homme », dans XXe Salon de l’Union des Arts Plastiques de Saint-Denis (cat.exp., Saint-Denis, Salle de la légion d’honneur, 5 – 27 novembre 1966), Saint-Denis, 1966, non paginé.
- 2012 DESVAGES, Mathilde, « Charles Auffret, l’élu du Groupe des Neuf », dans Charles Auffret (1929-2001). Sculpteur et dessinateur, dir. Jean-Baptiste Auffret, Christophe Richard, (cat.exp., Mont-de-Marsan, Musée Despiau-Wlérick, 10 août – 16 septembre 2012), Mont-de-Marsan, L’Atelier des Brisants, 2012, p.13-23.
Jean Carton
Paris, 23 mai 1912- Paris, 30 novembre 1988
Carton travaille à partir des leçons de ses premiers maîtres, Charles Malfray et Robert Wlérick, et d’après les œuvres de Rembrandt. Il excelle dans les portraits, comme ceux des présidents René Coty et François Mitterrand, que Carton réalise à leur demande. En 1943, il commence à créer ses premières eaux-fortes, dont deux sont achetées par Picasso.
De nombreuses galeries présentent ses créations, dont la plus fidèle est la galerie Bernier. En 1946, il reçoit le prix Blumenthal décerné par Germaine Richier, Marcel Gimond et Robert Couturier, et en 1949, il obtient le prix de la villa Abd-el-Tif à Alger, où il séjourne trois ans.
Un an avant sa mort, sa figure Marie-Christine debout est installée dans le foyer du Sénat.
Paul Cornet
Paris, 18 mars 1892- Saint-Martin-de-Nigelles, 10 avril 1977
L’art de Cornet est marqué par un aspect très humain et sensitif. Il regarde avec intérêt les œuvres de Rodin, de Maillol et de Despiau. Il expose au Salon d’Automne et au Salon des Tuileries. Il reçoit le Grand Prix de Sculpture en 1932 pour Femme nue assise et cette même année, la galerie Bernier organise une exposition monographique en son honneur. Par la suite, il évolue vers un art aux proportions plus amples tel que l’illustrent Pomone ou Vénuset l’Amour, réalisée pour une niche de l’Orangerie de Meudon (vers 1942). Il reçoit également la commande d’une grande figure pour le Palais de Chaillot en 1937, d’une figure pour le Panthéon ou encore pour l’église Saint Thomas d’Aquin (c. 1942). Entre 1954 et 1955 il réalise le Mémorial de Tulle à la mémoire des victimes de la seconde guerre mondiale. Vers la fin de sa vie il reçoit encore les Prix Wildenstein (1967) et Paul-Louis Weiller (1972).
Raymond Corbin
Rochefort, 23 avril 1907- Boulogne-Billancourt, 1 mars 2002
Corbin est considéré comme l’un des médailleurs les plus importants de France. Élève d’Henri Dropsy à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, auquel il succède en qualité de professeur de gravure en médailles à partir de 1955. En 1936 il obtient le Prix Blumenthal. Quelques années plus tard, en 1969, il est le premier lauréat du Prix Germain Pilon pour l’ensemble de son œuvre, c’est-à-dire des médailles et des monnaies, des sculptures et aquarelles. L’Hôtel de la Monnaie de Paris lui consacre deux rétrospectives : l’une en 1971 et l’autre en 1986. En 1988, le Cabinet des Médailles de Munich le célèbre également avec une rétrospective.
Marcel Damboise
Marseille, 8 août 1903- Paris, 2 février 1992
Damboise, dès son installation à Paris en 1926, participe à plusieurs expositions et salons dont le Salon des Tuileries, la biennale peinture sculpture de Cachan et le Salon des Indépendants, où il rencontre Paul Cornet, Charles Despiau, Aristide Maillol et Charles Malfray qui deviennent ses maîtres spirituels. De 1932 à 1935, il séjourne à la villa Abd-el-Tif en Algérie où il exécute le Monument du Fondouk.
Il reçoit de nombreuses commandes publiques dont en 1974 un Buste d’Elie Faure en pierre pour un monument commémoratif à Périgueux, pour lequel lui est décerné le prix du souvenir du Périgord par l’Académie des Lettres et des Arts. L’Institut de France lui décerne également des prix dont en 1971 le Prix Wildenstein et en 1984 le prix de portrait Paul-Louis Weiller.
Léon Indenbaum
Tcherikov, Biélorussie, 10 décembre 1890- Opio, 29 septembre 1981
Indenbaum arrive à Paris en 1911 et il s’installe dans un atelier de la Ruche où fait la rencontre de Modigliani, Soutine, Kremègne, Chagall et d’autres artistes de l’École de Paris. Il commence à travailler auprès d’Émile-Antoine Bourdelle et dès 1912, expose au Salon des Indépendants. Pour Jacques Doucet, son premier mécène, Indenbaum exécuta de nombreux panneaux décoratifs. Durant la guerre, Indenbaum se cache et nombre de ses œuvres sont détruites. En 1968, le prix Wildenstein lui est décerné par l’Institut.
Léopold Kretz
Lvov, 4 février 1907- Cambo-les-Bains, 16 avril 1990
Kretz arrive à Paris en 1931 grâce à l’obtention d’une bourse de perfectionnement et il se met à fréquenter l’atelier Landowski-Gaumont à l’École des Beaux-Arts et celui de Bourdelle à l’Académie de la Grande Chaumière.
Ses œuvres les plus connues sont le Monument de la Libération de Crest (Drôme), la Fontaine de l’Archevêché dans le square Notre-Dame et les nombreuses médailles pour l’hôtel de la Monnaie, dont celle de Georges Auric. Il participe aussi à de nombreux salons (Salon d’Automne, Salon des Tuileries) et expositions (Sculpture française contemporaine de Rodin à nos jours). Ses premières expositions personnelles ont lieu à la galerie Simonson et à la galerie Pierre Loeb. Il reçoit plusieurs prix, dont celui des Vikings en 1951.
Raymond Martin
Paris, 24 avril 1910- Maisons-Laffite, 3 février 1992
Après une formation académique, il commence à exposer régulièrement au Salon des Tuileries dès 1927. En 1932, il expose à la galerie Paquereau, au Salon d’Automne et reçoit le prix Blumenthal. Les créations plus intimes, basées sur le dessin et le travail avec le modèle, s'accompagnent d'importantes commandes de l'État telles que la statue équestre du Maréchal Foch (1936-1951), placée au centre de la place du Trocadéro, le monument au Général Mangin (1950-1954), érigé à côté de l’église Saint François-Xavier, et le monument au Général Leclerc (1965-1969), porte d’Orléans. En 1973, l’État tunisien lui commande une statue équestre du président Habib Bourguiba.
Le musée Galliera et l’Hôtel de la Monnaie lui consacrent une rétrospective respectivement en 1960 et en 1985.
Gunnar Nilsson
Karlskrona, Suède, 17 avril 1904- Chesnay, 28 novembre 1995
Nilsson se consacre à la sculpture à partir de 1927 et au cours de sa carrière expose à Paris, Stockholm, New York, Nice, Bordeaux et Göteborg.
Il est membre de l'Académie royale suédoise des Beaux-Arts, membre de l'Institut de France et membre d'honneur de l'université de Lund en Suède. De plus, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur en France, et officier de l'ordre de Vasa en Suède, où il obtient aussi la médaille d'or du prince Eugène.
Ses œuvres sont conservées dans plusieurs musées et lieux publics en France et en Suède.
Jean Osouf
Vitry-le-François, 15 juin 1898- Nogent-sur-Marne, 15 juin 1996
Osouf se consacre à la sculpture à l’âge de trente ans. Après avoir découvert la Cathédrale de Chartres, son travail est profondément influencé par la tradition médiévale. Ses premières expositions ont lieu au Salon des Tuileries et à la Galerie Georges Petit en 1934. Sa sculpture monumentale, L’Éveil, est érigée devant le musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1937 pour la Grande Exposition Universelle. Dans les années suivantes il expose aussi à l’étranger à Stockholm, Amsterdam, de Bruxelles, Copenhague, La Haye, Le Caire, Madrid, New York, Oslo… De plus, il reçoit de nombreux prix, honneurs et récompenses, dont le Prix Paul Louis Weiller (1974). Après sa mort une quarantaine de ses œuvres rejoignent le musée des Beaux-Arts de Reims.