5 Questions à Arlette Ginioux
Cet entretien avec Arlette Ginioux a été réalisé par Marie Flambard lors d’une visite dans l’atelier de la sculptrice (Paris, XIXe), en juin 2023.
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Arlette Ginioux, vous êtes sculpteur et travaillez à Paris. Vous avez cheminé aux côtés de Charles Auffret, partageant vie familiale et vie artistique.
Que souhaiteriez-vous nous transmettre concernant sa personnalité, l’homme qu’il était ? et comment conciliiez-vous le quotidien et la création ?
C’était un homme intelligent et pragmatique. Il avait des qualités exceptionnelles. Nous avons partagé une vie de labeur. Nous partions en vacances, toujours pour travailler. Nous nous levions à 6h du matin pour avoir la belle lumière, à Bandol ou ailleurs. La seule chose qui comptait pour lui était d’être dans son atelier.
Nous avons partagé un temps les mêmes modèles, le même atelier mais pas longtemps… Chacun travaillait plutôt de son côté. On discutait peu de notre création. En 1965, il a obtenu une bourse de la Fondation Ricard pour une année en résidence sur l’île de Bendor dans le Var. Ça été une belle période de création. J’y ai fait de belles choses : la médaille d’Auffret, le buste du légionnaire Gonish. Nous étions déchargés des aspects matériels.
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Lorsque l’on partage l’art et la vie comme vous l’avez fait, les influences doivent être riches et multiples, sauriez-vous nous dire quelle trace il a laissé dans votre démarche créative ?
Il m’a beaucoup appris ; il m’a appris à voir. Il était très bon pédagogue. Nous sommes allés au Louvre voir Rembrandt ensemble. Nous admirions Camille Claudel, Auguste Rodin, Charles Malfray, Jane Poupelet, Germaine Richier, Alberto Giacometti… Il m’a initiée à la création. Il parlait de l’unité des choses, de trouver une architecture. Quand on a une vision d’ensemble, une vision abstraite, on a tout… J’admirais son travail. Son avis m’a toujours importé. C’était un œil extraordinaire. Il commentait mes dessins. Nous nous donnions mutuellement des conseils. Mais il écoutait aussi ce que je lui disais, mes conseils. Il me faisait confiance.
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Vous apparaissez souvent dans l’art d’Auffret. Vous avez été sa muse ; il existe des portraits sculptés et dessinés de vous. Une de ces représentations vous est-elle particulièrement chère ? Si oui, laquelle ?
Il a fait de beaux portraits. J’ai posé pour lui et ai beaucoup reçu en retour. J’ai pu observer et apprendre énormément en le regardant travailler. Il y a des portraits dessinés, gravés, des figures sculptées, mais il n’y a pas de buste. De lui, j’aime particulièrement un dessin à la mine de plomb, un portrait de moi. C’est un très beau dessin, tendu, vivant, lumineux comme un marbre.
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Charles Auffret a été professeur à l’ENSAD (École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) pendant 10 ans. Il a laissé un souvenir vif à ses élèves. Les uns et les autres témoignent du fait qu’il était un professeur extraordinaire, grand pédagogue. Ayant vous-même enseigné des années à l’ENSAD, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
J’étais son élève à l’académie Malebranche ; il y avait aussi Richard Peduzzi. Il était très bon professeur ; il avait été à bonne école en ayant appris auprès de Pierre Honoré [Pierre Honoré 1908-1996, sculpteur], à Dijon. Nous travaillions intensément. Tous les matins, nous avions un modèle. Son langage me parlait, je comprenais ; il apprenait à voir, c’était fort.
Aux Arts Déco, il donnait le cours de dessin du mercredi après-midi. Tout le monde y allait. Il était très admiré.
Ensuite, à mon tour j’ai enseigné le dessin et la sculpture à l’ENSAD. A l’époque le dessin était l’épine dorsale de toutes les discipline. Cela a bien changé…
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En 1997 un très beau texte, sous forme d’interview, intitulé LA NÉCESSITÉ DU DESSIN, permet à Charles Auffret d’exprimer sa vision du dessin. Que pensez-vous de ce texte ?
Sur un chemin d’apprentissage, c’est important de recevoir le fruit de l’expérience d’un bon professeur. Dans ce texte, les propos de Charles Auffret sont intemporels, ils valent pour toutes les époques. Il aborde ici le vrai problème. L’héritage de Rodin se sent dans ces paroles, quand il aborde le travail d’après l’Antique par exemple. Pour moi, les références en matière de dessin sont Cézanne, Bonnard, Rembrandt, Titien… Un croquis de Bonnard ou de Rembrandt, ça passe par la tête, le cœur et le ventre. C’est authentique, véritable, ça vient des tripes ! Nous étions tous les deux convaincus qu’il fallait passer par un sérieux apprentissage pour intégrer les lois inhérentes et propres à l’art du dessin. L’artiste peut alors exprimer ce qu’il est.